Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales 17 avril
LIVRE SECOND
CHAPITRE III
De la Providence divine en général.
Ainsi, cher Théotime, cette providence touche tout, règne sur tout, et réduit tout à sa gloire. Il y a toutefois certes des cas fortuits et des accidents inopinés; mais ils ne sont ni fortuits, ni inopinés qu'à nous ; et sont, sans doute, très certains à la providence céleste, qui les prévoit et les destine au bien public de l'univers.
Or, ces cas fortuits se font par la concurrence de plusieurs causes, lesquelles n'ayant point de naturelle alliance les unes aux autres, produisent une chacune son effet particulier, en telle sorte néanmoins que de leur rencontre réussit un effet d'autre nature, auquel, sans qu'on l'ait pu prévoir, toutes ces causes différentes ont contribué.
Il était, par exemple, raisonnable de châtier la curiosité du poète Aeschylus, lequel ayant appris d'un devin qu'il mourrait accablé de la chute de quelque maison, se tint tout ce jour-là en une rase campagne, pour éviter le destin.
Et demeurant ferme, tête nue, un faucon qui tenait entre ses serres une tortue en l'air, voyant ce chef chauve, et cuidant (Cuidant, supposant.) que ce fût la pointe d'un rocher, lâcha la tortue droit sur icelui; et voilà qu'Aeschylus meurt sur-le-champ, accablé de la maison et écaille d'une tortue.
Ce fut, sans doute, un accident fortuit; car cet homme n'alla pas au champ pour mourir, ains pour éviter la mort; ni le faucon ne cuida pas écraser la tête d'un poète, ains le test (Test ou tét, partie dure d'une coquille.) et l'écaille de la tortue, pour par après en dévorer la chair.
Et néanmoins il arriva au contraire car la tortue demeura sauve, et le pauvre Aeschylus mort. Selon nous, ce cas fut inopiné; mais, au regard de la Providence qui regardait de plus haut, et voyait la concurrence des causes, ce fut un exploit de justice par lequel la superstition de cet homme fut punie.
Les aventures de l'ancien Joseph furent admirables en variétés et en passages d'une extrémité à l'autre. Ses frères qui l'avaient vendu pour la perdre, furent tout étonnés de le voir devenu vice-roi, et appréhendaient infiniment quil ne se ressentit du tort qu'ils lui avaient fait; mais non, leur dit-il : ce nest pas tant par vos menées que je suis envoyé ici, comme parla Providence divine:
Vous avez eu des mauvais desseins sur moi, mais Dieu les a réduits à bien. Voyez-vous, Théotime, le monde eût appelé fortune, ou événement fortuit ce que Joseph dit être un projet de la Providence souveraine qui range et réduit toutes choses à son service.
Et il est ainsi de tout ce qui se passe au monde, et même des monstres, la naissance desquels rend les oeuvres accomplies et parfaites plus estimables, produit de l'admiration, et provoque à philosopher et faire plusieurs bonnes pensées: et en somme ils tiennent lieu en l'univers comme les ombres ès tableaux, qui donnent grâce, et semblent relever la peinture.
CHAPITRE IV
De la providence surnaturelle que Dieu exerce envers les créatures raisonnables.
Tout ce que Dieu a fait est destiné au salut des hommes et des anges; mais voici l'ordre de sa providence pour ce regard (Pour ce regard, à ce sujet.), selon que par l'attention aux saintes Écritures et à la doctrine des anciens, nous le pouvons découvrir, et que notre faiblesse nous permet d'en parler.