- Les saintes voies de la Croix du Vénérable Mr H-M.Boudon : 30 septembre
CHAPITRE VIII
De l'abandonnement des créatures, et particulièrement des amis
(...) Hélas ! Si les hommes vous entendaient ! L'esprit d'amour, dit l'histoire de sainte Catherine de Gênes, lui ôta tous ses amis, et les personnes spirituelles dont elle recevait quelque soulagement, et elle demeura seule, abandonnée, tant de dedans que de dehors ; il la priva même de son confesseur.
C'est que Dieu en voulait faire une créature toute divine : aussi cette sainte a été incomparable dans le pur amour de Dieu seul.
Saint Paul ne vivait pas, il n'y avait que Jésus seul en l'homme apostolique ; mais il fut élevé à une possession glorieuse par les privations extrêmes.
Ô mon Dieu, que les conduites de la Providence sont admirables ! Le grand Apôtre se trouva délaissé des Galates, il devint même leur ennemi pour leur avoir dit trop franchement leurs vérités : il se trouva rebuté de ces peuples dont lui-même dit des merveilles en parlant de l'amitié qu'ils lui avaient témoignée, jusque-là qu'ils l'avaient reçu comme un ange du ciel, comme Jésus-Christ lui-même ; et pour ainsi parler (ce sont les termes de l'Apôtre), ils se fussent arraché les yeux pour les lui donner, s'il en eût eu besoin. (Galat. IV, 15)
Ne déclare-t-il pas dans la seconde Épitre à Timothée, qu'il s'est trouvé abandonné de tout le monde ? Mais en même temps il ajoute que le Seigneur l'a assisté ; tant il est vrai que Dieu est où les créatures manquent.
Mais y a-t-il jamais rien eu de semblable à l'humanité sainte de l'adorable Jésus, qui a été unie hypostatiquement au Verbe divin ? En sorte qu'il est vrai de dire que Jésus est Dieu ; et ensuite, chose admirable, il est certain que les abandonnements qu'il a portés, sont incomparables.
Il est trahi par un de ses disciples ; le premier de ses apôtres le renie ; tous le quittent ; les anges le laissent à la cruauté de ses ennemis ; il se sépare de sa sainte Mère, la laissant au pied de la croix ; le Saint-Esprit le conduit au sacrifice, comme l'enseigne l'Apôtre ; le Père éternel l'abandonne ; il se délaisse lui-même, en sorte que ses sujets, ses créatures, le ciel, la terre, et, comme remarque un excellent auteur, son Père, sa Mère, le Saint-Esprit, et Jésus même ne font qu'un corps pour affliger Jésus. Toutes les puissances divines, célestes, humaines et infernales s'unissent pour le tourmenter.
Ces vues, si l'âme en est un peu pénétrée, donnent plus d'envie de l'abandonnement des créatures que de crainte. Non, non, que la nature frémisse tant qu'elle voudra, que l'esprit humain raisonne tant qu'il lui plaira ; ce spectacle d'un Dieu-Homme ainsi délaissé, inspire un amour incroyable pour tous les délaissements possibles.
Quel moyen, après cela, de n'en être pas saintement passionné, de ne pas soupirer d'amour après ces aimables abandonnements ? Quel bonheur d'y avoir quelque part, et combien s'en doit-on tenir heureux ! Quelle fortune comparable à celle qui nous fait entrer dans les états du Roi du ciel et de la terre ! Le dessein que j'ai pris de ne faire qu'un petit abrégé de cette matière en cet ouvrage, m'arrête : il y aurait de quoi écrire ici pour le reste de la vie. (...)