Méditation avec La Fin de Monde Présent de l'Abbé Arminjon 14 août
NEUVIEME CONFÉRENCE : DU MYSTÈRE DE LA SOUFFRANCE DANS SES RAPPORTS AVEC LA VIE FUTURE
Homo natus de muliere, brevi vivens tempore, repletur multis miseriis.
L'homme né de la femme, vit peu de jours, et sa vie est remplie de misères sans nombre. (Job, XIV, 1)
En effet, la Passion de Jésus-Christ ne s'est point close sur le Golgotha. Sur le Golgotha, Jésus-Christ a enduré la douleur dans toute son intensité. Sa douleur a été vaste, amère comme les eaux de l'Océan ; elle s'est élevée au-dessus de toute mesure, de tout exemple, de toute expression ; mais Il n'a pas enduré la douleur sous toutes ses physionomies et sous toutes ses formes.
Il a été percé par des clous, Il n'a pas été brûlé à petit feu. Il a vu Ses disciples s'enfuir, effrayés du scandale de la croix ; Il n'a pas éprouvé cette autre douleur, moinsvive sans doute, mais plus expansive, plus remplie de gémissements et de larmes, d'une mère qui voit la mort arracher de ses bras un enfant adoré.
Il a éprouvé des peines réelles causées par les péchés et par la malice des hommes ; Il n'a pas ressenti ces tristesses idéales et fantastiques, d'une âme peu résignée, qui se nourrit de chimères, aspire avec l'ardeur du délire à un avenir qu'elle ne peut atteindre et ne sait trouver son contentement dans le devoir et la pratique austère de la vertu.
Jésus-Christ a éprouvé la confusion et le repentir de nos péchés à nous ; Il n'a pas été bourrelé par le remords et n'a pas enduré la confusion, qui accable le pécheur au souvenir de ses iniquités personnelles. Tous ces genres de douleurs, que Jésus-Christ n'a pas endurés dans Sa propre personne, il est nécessaire qu'Il les complète dans Ses membres.
Il faut que la Passion douloureuse du Sauveur se consomme dans tous les temps et sous tous les espaces. Car, de même que plus tard, dans le Ciel, Jésus-Christ sera tout et en toutes choses par Sa béatitude et par Sa gloire, ainsi en ce bas monde, jusqu'à la fin des siècles, Il doit être tout et en toutes choses, par Ses infirmités et Ses agonies, Omnia et in omnibus Christus (Col., III, 2).
Ces considérations expliquent la soif ardente des souffrances dont étaient dévorés les saints, les délices ineffables qui les faisaient tressaillir sur les bûchers et les chevalets, lorsque leurs chairs étaient consumées et leurs os disloqués. L'amour dont ils se sentaient enflammés pour la croix, leur mettait aux lèvres des accents incompréhensibles. Sainte Thérèse, glacée par le froid, tourmentée par des rhumatismes, brisée par les fatigues et les austérités, mais transpercée, au plus intime de son âme, du glaive des Séraphins, languissante, éperdue, s'écriait :
Aut pati, aut mori; ou souffrir ou mourir. Saint Ignace d'Antioche, condamné à périr sous la dent des bêtes, se rendait à Rome, pour prendre part aux jeux solennels, ordonnés par l'empereur Trajan. Il voyageait entouré de soldats, bêtes féroces à face humaine, qui rugissaient autour de lui, comme des tigres et des léopards.
Au milieu de leurs vociférations et de leurs clameurs, escorté d'amis et de disciples, qui se pressaient autour de lui, afin de recueillir de sa bouche ses adieux et ses dernières recommandations, il relevait majestueusement son front qui rayonnait déjà d'une gloire céleste et surhumaine ; saisi d'un saint transport, rempli de l'espérance de Dieu, il prononça des paroles inconnues jusque-là à la langue humaine :
Puissais-je», disait-il, «jouir de la fureur des bêtes... ne vous laissez pas toucher pour moi d'une fausse compassion... Si vous agissez de la sorte contre moi, le premier, j'irriterai les bêtes et les presserai de nie dévorer... Pardonnez-moi, mes fils, je sais ce qui m'est utile ; maintenant je commence à devenir un digne disciple de Jésus-Christ, ne désirant plus ce qui est visible, afin de trouver plus promptement et plus sûrement Jésus-Christ...Oui, viennent le feu, et la croix, et les bêtes ; viennent le morcellement de mes membres et le brisement de mon corps».
Et au moment où il entendit les lions rugir, il s'écria : «Je suis le froment de Jésus-Christ, je être moulu par la dent des bêtes, afin d'être servi comme un pain pur à la table de Jésus-Christ» (Vita sancti Ignat., I. libro S. Hieronimi