- La Mère du Sauveur et notre vie intérieure par Fr. Garrigou-Lagrange : 6 juillet
CHAPITRE III
Article VI
LES DONS INTELLECTUELS ET LES PRINCIPALES VERTUS DE MARIE
Privilèges particuliers de son intelligence
La connaissance de Marie sur terre avait des bornes, surtout à l'origine; c'est ainsi qu'elle ne comprit pas d'abord toute la portée des paroles de Jésus enfant touchant les affaires de son Père (Luc,II, 48). Mais, comme on l'a dit souvent, c'étaient là des limites plutôt que des lacunes; ce n'était pas de l'ignorance, car ce n'était pas la privation d'une connaissance qu'il aurait convenu qu'elle possédât à ce moment. La Mère de Dieu, aux différentes époques de sa vie, savait ce qu'il convenait qu'elle sût.
A plus forte raison, ne fut-elle jamais sujette à l'erreur; elle évitait toute précipitation dans le jugement, et suspendait celui-ci tant qu'elle n'avait pas la lumière suffisante; et, si elle n'était pas certaine, elle se contentait de considérer la chose comme vraisemblable ou probable, sans affirmer même intérieurement qu'elle fût vraie. Par exemple, il est dit en saint Luc (II, 44) que lorsque Jésus âgé de douze ans était resté à Jérusalem, elle estimait ou supposait qu'il était dans le cortège des parents et amis. C'était une supposition vraisemblable, vraiment probable, en cela elle ne se trompait pas.
Nous avons vu plus haut qu'elle eut très probablement, selon beaucoup de théologiens, au moins de façon transitoire, dès le sein de sa mère, la science infuse pour avoir l'usage du libre arbitre, le mérite qui faisait fructifier la plénitude initiale de grâce. Si cette science infuse lui fut ainsi très probablement accordée, il est bien difficile de dire qu'elle en fut privée ensuite, car elle serait devenue moins parfaite au lieu de progresser incessamment dans cette voie du mérite.
La même raison de convenance, nous l'avons vu, ibidem, a porté beaucoup de théologiens à affirmer avec saint François de Sales et saint Alphonse qu'elle gardait l'usage de cette science infuse pendant son sommeil pour continuer de mériter.
Parmi les grâces gratuites, on ne saurait non plus refuser à Marie la prophétie, qui est du reste manifestée par le Magnificat, en particulier par ces paroles : « Voici que désormais toutes les générations m'appelleront bienheureuse » (Luc, I, 48). La réalisation de cette prédiction est aussi évidente et constante depuis des siècles que l'énoncé en est précis. Ce ne fut pas sans doute la seule prophétie dans la vie de la Sainte Vierge, puisque ce don est très fréquent chez bien des saints, comme on le voit par la vie du Curé d'Ars et de saint Jean Bosco.
Enfin, comme beaucoup de saints, elle dut avoir le don du discernement des esprits, pour reconnaître l'esprit de Dieu, le distinguer de toute illusion diabolique ou de l'exaltation naturelle, polir pénétrer aussi les secrets des cœurs, surtout lorsqu'on lui demandait conseil, pour répondre toujours de façon juste, opportune et immédiatement applicable, comme le faisait si souvent le saint Curé d'Ars et beaucoup d'autres serviteurs de Dieu.
Plusieurs théologiens reconnaissent encore à Marie le don des langues, lorsqu'elle eut à voyager en des pays étrangers, en Egypte et à Ephèse.
A plus forte raison, depuis l'Assomption, Marie a-t-elle la plénitude de ce don, c'est ainsi que, dans les apparitions de Lourdes, de la Salette et d'autres endroits, elle a parlé le dialecte de la région où elle apparaissait, dialecte qui était du reste la seule langue connue des enfants auxquels elle apportait un message du ciel.
On s'est demandé si Marie avait eu sur terre, ne serait-ce que quelques instants, la vision immédiate de l'essence divine, dont jouissent au ciel les bienheureux.
Les théologiens enseignent communément contre Chr. Véga et François-Guerra, que certainement elle ne l'a pas eue de façon permanente, en quoi elle diffère de NotreSeigneur, car, si elle l'avait eue ainsi, elle n'aurait pas eu la foi.
A-t-elle eu cette faveur, vers la fin de sa vie, de façon transitoire ? Il est difficile de répondre avec certitude. Elle a dit avoir une vision intellectuelle de la Sainte Trinité supérieure à celle que reçut sainte Thérèse et bien d'autres saints parvenus à l'union dite transformante (VII° demeure de sainte Thérèse); mais cette vision intellectuelle, si élevée soit-elle, reste de l'ordre de la foi, elle est inférieure à la vision immédiate de l'essence divine, et se fait par idée infuse.