Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales 20 avril
LIVRE SECOND
CHAPITRE V
Que la Providence céleste a pourvu aux hommes une rédemption très abondante.
Or disant, Théotime, qu'a Dieu avait vu et voulu une chose premièrement, et puis secondement une autre, observant ordre entra ses volontés, je l'ai entendu selon qu'il a été déclaré ci-devant, à savoir, qu'encore que tout cela s'est passé en un très seul et très simple acte; néanmoins par icelui, l'ordre, la distinction, et la dépendance des choses n'a pas été mains observée, que s'il y eût en plusieurs actes en l'entendement et volonté de Dieu.
Étant donc ainsi que toute volonté bien disposée, qui se détermine de vouloir plusieurs objets également présents, aime mieux, et avant tous, celui qui est le plus aimable ; il s'ensuit que la souveraine Providence faisant son éternel projet et dessein de tout ce qu'elle produirait, elle voulut premièrement et aima, par une préférence d'excellence, le plus aimable objet de son amour, qui est notre Sauveur; et puis, par ordre, les autres créatures, selon que plus on moins elles appartiennent au service, honneur et gloire d'icelui.
Ainsi tout a été fait pour ce divin homme, qui pour cela est appelé Ainé de toute créature; possédé par la divine majesté au commencement des voies d'icelle, avant quelle fit chose quelconque, créé au commencement avant les siècles car en lui toutes choses sont faites, et il est avant tout, et toutes choses sont établies en lui, et il est chef de toute l'Église, tenant en tout et partout la primauté.
On ne plante principalement la vigne que pour le fruit; et partant le fruit est le premier désiré et prétendu, quoique les feuilles et les fleurs précèdent en la production.
Ainsi, le grand Sauveur fut en premier en l'intention divine, et en ce projet éternel que la divine Providence fit de la production des créatures, et en contemplation de ce fruit désirable fut plantée la vigne de l'univers, et établie la succession de plusieurs générations, qui, à guise de feuilles et de fleurs, le devaient précéder, comme avant-coureurs et préparatifs convenables à la production de ce raisin, que l'épouse sacrée loua tant ès Cantiques, et la liqueur duquel réjouit Dieu et les hommes.
Or donc maintenant, mon Théotime, qui doutera de l'abondance des moyens du salut, puisque nous avons un si grand Sauveur, en considération duquel nous avons été faits et par les mérites duquel nous avons été rachetés?
Car il est mort pour tous, parce que tous étaient morts, et sa Miséricorde a été plus salutaire pour racheter la race des hommes, que la misère d'Adam n'avait été vénéneuse pour la perdre.
Et tant s'en faut que le:péché d'Adam ait surmonté la débonnaireté divine, que tout au contraire il la excitée et provoquée; si que par une suave et très amoureuse antipéristase (action de deux qualités contraires qui s'aident mutuellement) et contention elle s'est révigorée à la présence de son adversaire; et comme ramassant ses forces pour vaincre, elle a fait surabonder la grâce où l'iniquité avait abondé; de sorte que la sainte Église, par un saint excès d'admiration, s'écrie la veille de Pâques :
O péché d'Adam, à la vérité nécessaire, qui a été effacé par la mort de Jésus-Christ ! ô coulpe bienheureuse, qui a mérité d'avoir un tel et si grand Rédempteur!
Certes, Théotime, nous pouvons dire comme cet ancien: Nous étions perdus, si nous neussions été perdus; c'est-à-dire, notre perte nous a été à profit, puisqu'en effet la nature humaine a reçu plus de grâce par la rédemption de son Sauveur, qu'elle n'en eût jamais reçu par l'innocence d'Adam, s'il eût persévéré en icelle.