Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales 22 octobre.
CHAPITRE IX.
Suite de discours commencé. Comme chacun doit aimer, quoique non pas pratiquer, tous les conseils évangéliques; et comme néanmoins chacun doit pratiquer ce qu'il peut.
L'hospitalité, hors l'extrême nécessité, est un conseil : recevoir l'étranger est le premier degré d'icelui; mais aller sur les avenues des chemins pour les semondre (exhoter, reprendre), comme faisait Abraham, c'est un degré plus haut, et encore plus de se loger ès lieux périlleux, pour retirer, aider et servir les passants :
en quoi excella ce grand saint Bernard de Menthon, originaire de ce diocèse, lequel, étant issu d'une maison fort illustre, habita plusieurs années entre les jougs (sommets, quelquefois chaman de montagnes) et cimes de nos Alpes, y assembla plusieurs compagnons, pour attendre, loger, secourir, délivrer des dangers de la tourmente les voyageurs et passants, qui mourraient souvent entre les orages, les neiges et froidures, sans les hôpitaux que ce grand ami de Dieu établit et fonda ès deux monts, qui pour cela sont appelés de son nom, Grand-Saint-Bernard, au diocèse de Sion, et Petit-Saint-Bernard, en celui de Tarentaise.
Visiter les malades qui ne sont pas en extrême nécessité, c'est une louable charité; les servir est encore meilleur; mais se dédier à leur service, c'est l'excellence de ce conseil, que les clercs de la Visitation des infirmes exercent par leur propre institut; et plusieurs dames en divers lieux, à l'imitation de ce grand saint Samson, gentilhomme et médecin romain, qui, en la ville de Constantinople, où il fut prêtre, se dédia tout à fait, avec une admirable charité, au service des malades, en un hôpital qu'il y commença, et que l'empereur Justinien éleva et paracheva;
à l'imitation des saintes Catherine de Sienne et de Gênes, de sainte Elisabeth de Hongrie, et des glorieux amis de Dieu, saint François et le bienheureux lgnace de Loyola, qui, au commencement de leurs ordres, firent cet exercice avec ardeur et utilité spirituelle incomparable.
Les vertus ont donc une certaine étendue de perfection, et, pour l'ordinaire, nous ne sommes pas obligés de les pratiquer en l'extrémité de leur excellence: il suffit d'entrer si avant en l'exercice d'icelles, qu'en effet on y soit.
Mais de passer outre, et s'avancer en la perfection, c'est un conseil; les actes héroïques des vertus n'étant pas pour l'ordinaire commandés, ains seulement conseillés. Que si, en quelque occasion, nous nous trouvons obligés de les exercer, cela arrive pour des occurrences rares et extraordinaires, qui les rendent nécessaires à la conservation de la grâce de Dieu.
Le bienheureux portier de la prison de Sébaste, voyant l'un des quarante qui étaient lors martyrisés perdre le courage et la couronne du martyre, se mit en sa place, sans que personne le poursuivit, et fut ainsi le quarantième de ces glorieux et triomphants soldats de notre Seigneur.
Saint Adauctus, voyant que l'on conduisait saint Félix au martyre: Et moi, dit-il, sans être pressé de personne, je suis aussi bien chrétien que celui-ci, adorant le même Sauveur; puis baisant saint Félix, s'achemina avec lui au martyre, et eut la tête tranchée. Mille des anciens martyrs en firent de même; et pouvant également éviter et subir le martyre sans pécher, ils choisirent de le subir généreusement plutôt que de l'éviter loisiblement (comme ils en avaient le loisir).
En ceux-ci donc le martyre fut un acte héroïque de la force et constance qu'un saint excès d'amour leur donna. Mais quand il est force d'endurer le martyre, ou renoncer à la foi, le martyre ne laisse pas d'être martyre, et un excellent acte d'amour et de force; néanmoins je ne sais s'il le faut nommer acte héroïque, n'étant pas choisi par aucun excès d'amour, ains par la nécessité de la loi, qui en ce cas le commande.
Or, en la pratique des actes héroïques de la vertu consiste la parfaite imitation du Sauveur, qui, comme dit le grand saint Thomas, eut dès linstant de sa conception toutes les vertus en un degré héroïque; et certes, je dirais volontiers plus qu'héroïque, puisqu'il n'était pas simplement plus qu'homme, mais infiniment plus qu'homme, c'est-à-dire, vrai Dieu.